La manière dont les médias traitent le harcèlement sexuel a profondément changé au fil des années, passant d'un sujet rarement abordé à une question désormais placée au centre du débat public. Cette transformation reflète une prise de conscience sociale plus large et marque un tournant dans la représentation médiatique des violences sexistes et sexuelles.
L'évolution du traitement médiatique des affaires de harcèlement sexuel
L'analyse de la couverture médiatique des violences sexistes et sexuelles sur trois décennies (1989-2019) dans la presse française révèle des changements substantiels. Une étude portant sur 2071 articles du Monde et d'Ouest-France montre que Le Monde a commencé à relayer les affaires de violences sexuelles dès 1996, tandis qu'Ouest-France a suivi à partir de 2003-2004. Durant cette période, le vocabulaire et l'angle d'approche ont connu des modifications notables.
Du silence à la parole libérée : l'impact du mouvement #MeToo
Avant le mouvement #MeToo, les médias traitaient principalement les violences sexuelles sous l'angle du fait divers, avec une attention particulière portée aux agressions commises par des inconnus, alors que des formes comme l'inceste restaient moins visibles malgré leur prévalence statistique. L'AVFT (Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail) avait d'ailleurs constaté une dégradation du traitement médiatique des violences sexistes au travail depuis 1992. Avec l'émergence du mouvement #MeToo, la parole des femmes a gagné en légitimité dans l'espace médiatique. Les champs lexicaux relatifs aux victimes, aux femmes et à leurs droits ont pris une place plus importante, notamment entre 2017 et 2019. Selon un rapport de l'Arcom, 77% des Français considèrent aujourd'hui que les médias jouent un rôle central dans la dénonciation de ces violences.
Les nouveaux formats journalistiques abordant les témoignages de victimes
Face à cette libération de la parole, les médias ont dû adapter leurs formats pour traiter adéquatement ces témoignages. Des podcasts comme « Les couilles sur la table » de Victoire Tuaillon ont émergé, proposant une analyse approfondie des questions de genre et de sexualité. Certaines rédactions ont lancé des enquêtes sur des faits de harcèlement, contribuant à une meilleure visibilité du problème. Selon une étude de l'Arcom en 2024, les infractions à caractère sexuel représentent 64% du traitement télévisuel des violences, suivies par les féminicides (15%), la pédocriminalité (14%) et l'inceste (3%). La qualité du traitement s'améliore également : dans 75% des cas, les termes juridiques exacts sont utilisés, et dans 8 séquences sur 10, la présomption d'innocence est respectée. Néanmoins, des progrès restent à faire puisque seulement un quart des reportages mettent en avant des solutions de prévention ou de soutien aux victimes.
La représentation de la sexualité dans les productions audiovisuelles
La façon dont les médias représentent la sexualité dans les productions audiovisuelles a beaucoup évolué ces dernières décennies. Cette transformation est particulièrement visible depuis le mouvement #MeToo qui a modifié profondément le traitement médiatique des questions liées à la sexualité et aux violences sexuelles. L'analyse de 30 ans de médiatisation (1989-2019) dans des journaux comme Le Monde et Ouest-France révèle cette évolution progressive mais inégale.
Les différences de traitement entre la sexualité masculine et féminine
Un déséquilibre flagrant existe dans la représentation de la sexualité selon le genre dans les productions audiovisuelles. D'après les analyses médiatiques, le désir féminin reste traité différemment du désir masculin dans de nombreuses publications. Victoire Tuaillon, journaliste et auteure du podcast « Lescouillessurlatable », souligne que les rapports hétérosexuels sont de plus en plus analysés dans un contexte de domination masculine, ce qui représente une avancée notable.
Les champs lexicaux relatifs aux femmes, aux victimes et aux droits des femmes ont gagné en visibilité, notamment durant la période 2017-2019 suite aux mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. Néanmoins, cette évolution n'est pas uniforme – ces campagnes n'ont par exemple pas été relayées dans le corpus d'Ouest-France étudié. L'Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT) constate même une dégradation du traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles au travail depuis 1992, avec une tendance à présenter les femmes de manière stéréotypée (comme allumeuses ou revanchardes) et à dévaluer leur parole.
La diversité des orientations sexuelles à l'écran : progrès et limites
La représentation de la diversité des orientations sexuelles dans les médias audiovisuels a connu des avancées mais reste confrontée à de nombreuses limites. Le traitement médiatique de la sexualité s'est longtemps concentré sur une vision hétéronormative, laissant peu de place aux autres orientations sexuelles.
L'analyse des médias français montre que certains sujets restent plus médiatisés que d'autres, avec des biais notables. Par exemple, les violences sexuelles commises par des inconnus reçoivent une couverture médiatique plus importante que l'inceste, malgré des statistiques qui indiqueraient le contraire. De même, les infractions à caractère sexuel représentent 64% du traitement télévisuel des violences sexistes et sexuelles, suivies par les féminicides (15%), la pédocriminalité (14%) et l'inceste (3%).
Une étude de l'Arcom portant sur 168 heures de programmes révèle que seulement un quart des reportages mettent en avant des solutions de prévention ou de soutien. Par ailleurs, dans plus de la moitié des séquences analysées, les affaires sont traitées sans évoquer leur caractère systémique, ce qui limite la compréhension des problématiques structurelles liées à la sexualité et au genre. Cette approche fragmentée ne favorise pas une représentation équilibrée de la diversité des orientations sexuelles et des réalités vécues par différentes communautés.
La place des associations féministes dans le paysage médiatique
Les associations féministes occupent un rôle grandissant dans le paysage médiatique français, particulièrement depuis les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. L'analyse de trente années (1989-2019) de couverture médiatique des violences sexistes et sexuelles dans Le Monde et Ouest-France révèle une évolution dans la visibilité de ces organisations. Avec 2071 articles étudiés, on constate que la période 2017-2019 marque un tournant avec une mobilisation accrue des champs lexicaux relatifs aux victimes, aux femmes et à leurs droits. Cette transformation témoigne du travail de fond mené par diverses associations pour faire reconnaître les violences sexuelles comme un sujet d'importance publique.
Le rôle des associations comme l'AVFT dans la visibilité des violences au travail
L'Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT) se distingue avec 47 mentions dans les corpus étudiés, ce qui en fait l'une des associations féministes les plus citées dans la presse. Fondée en 1975, cette organisation a joué un rôle déterminant dans la visibilité des violences sexuelles en milieu professionnel. Pourtant, selon une analyse de sa propre revue de presse sur 20 ans, l'AVFT constate une dégradation du traitement médiatique de ces questions depuis le vote des lois sur le harcèlement sexuel en 1992. L'association observe que les médias ont tendance à minimiser la réalité des violences sexuelles au travail, alors que celles-ci touchent entre 30 et 50% des femmes à l'échelle européenne selon une enquête de 1999. Face à cette situation, l'AVFT mène un travail constant d'information, de sensibilisation et d'accompagnement des victimes, accessible via son standard téléphonique (01 45 84 24 24) et son adresse email (contact@avft.org).
Les collaborations entre médias et organisations de défense des droits des femmes
Les partenariats entre médias et associations de défense des droits des femmes se multiplient, quoique de façon inégale selon les rédactions. Certaines collaborations ont permis l'émergence d'enquêtes approfondies sur des faits de harcèlement, contribuant à une meilleure prise en compte de la parole des victimes. Parmi les organisations actives dans ce domaine, on trouve également le Collectif Féministe Contre le Viol (12 mentions dans les corpus étudiés), Osez le Féminisme! (20 mentions), le Clasches (20 mentions) et les Chiennes de garde (16 mentions). Ces alliances stratégiques ont favorisé une évolution du discours médiatique, même si des progrès restent à faire. Un rapport récent de l'Arcom note que seulement un quart des reportages télévisuels mettent en avant des solutions de prévention ou de soutien aux victimes. La présence d'expertes issues des associations féministes dans les médias reste également limitée (44% du temps de parole selon l'Arcom). Pour remédier à cette situation, certaines associations proposent des interventions dans les écoles de journalisme et développent des contacts directs avec le public, notamment via les réseaux sociaux, afin de contourner les filtres médiatiques traditionnels et garantir une information plus juste sur les violences sexistes et sexuelles.